Les facteurs humains : pourquoi y consacrer autant d’énergie ?

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Échange avec Frédéric Mabile - Responsable Ingénierie des Facteurs Humains (chez Crossject depuis 2006)

Vous êtes le Responsable Ingénierie des Facteurs Humains. En quoi consiste votre métier ?

ZENEO® est destiné à être utilisé dans un contexte d’urgence, et donc de stress. Sa vocation est de sauver la vie de ceux qui le manipulent, ou celle d’un de leurs proches. Il est indispensable que l’utilisation de ZENEO® soit la plus facile et intuitive possible. Mon métier consiste à imaginer dès la conception les solutions pour faciliter l’utilisation et réduire le risque d’erreur d’utilisation. Et pour cela je place l’utilisateur au cœur de mon métier. Deux des principes de l’ingénierie des facteurs humains sont d’accepter d’une part  que le « zéro erreur » n’est pas humain et ne saurait être atteint, et que, d’autre part, une erreur ne peut jamais être attribuée uniquement à l’objet utilisé ou uniquement à l’utilisateur : elle est due à l’interaction entre les deux. Une erreur d’utilisation résulte d’un ensemble de facteurs, parfois combinés, qu’il faut identifier et étudier un par un de manière à limiter l’occurrence de l’erreur. La diversité humaine est tellement riche : âge, taille, force, éducation, comportement sous stress, milieu social, profession, … il ne peut exister une solution parfaite pour toutes les interactions possibles avec un objet. Notre ligne de conduite est d’impliquer un maximum d’utilisateurs potentiels pour définir un moyen, ou plutôt une combinaison de moyens, qui permettra d’éviter ou limiter au maximum la survenue d’une erreur lors de l’utilisation du dispositif. L’ingénierie des facteurs humains doit ainsi anticiper et réduire tous les risques d’erreur jusqu’à prouver que le produit est apte à être utilisé par tous les utilisateurs potentiels, efficacement et en sécurité. Notre mission consiste donc à assurer et démontrer que tout utilisateur parvient en situation d’urgence à utiliser ZENEO® correctement, en particulier quelqu’un qui découvrirait ZENEO® pour la première fois.

 

Quels sont les leviers sur lesquels vous pouvez agir pour parvenir à réduire ainsi le risque de mésusage ?

Mon périmètre s’étend à toute la partie de ZENEO® en relation avec l’utilisateur. Nous avons la possibilité d’agir sur ce que le patient va voir ou lire : les couleurs, les indications, les notices, les vidéos. Mais aussi sur ce qu’il va toucher et ressentir : les textures, les formes, les dimensions, le poids, les bruits, la tenue en main, le confort. Et bien entendu sur la manière dont il va manipuler le dispositif, c’est-à-dire sur les efforts qu’il va devoir consentir. Tous ces leviers, considérés unitairement et dans leur ensemble, ne sont pas neutres du point de vue de la facilité ou non d’utilisation. Cette grande famille s’appelle l’interface utilisateur. Nous intervenons de sa conception à sa validation.

 

Comment procédez-vous concrètement pour caractériser puis réduire le risque induit éventuellement par chacun de ces leviers ?

Lors de la conception, je prends le rôle d’un ergonome. Nous travaillons directement avec tous les utilisateurs potentiels : patients adultes ou enfants, parents et proches de patients, premiers secours, enseignants, formateurs en auto-injection. Nous les plaçons dans les environnements d’utilisation, par exemple une cuisine, une cantine, un bureau ou bien la voie publique. Pour chacune des scènes d’utilisation et en fonction de chacun des acteurs, nous identifions les risques liés à une utilisation normale. Il nous revient alors d’imaginer puis de prototyper différentes solutions sur le dispositif pour réduire ces risques et même si possible les éliminer. Nous testons ces solutions auprès d’un panel d’utilisateurs lors de nouvelles séances de simulations. Selon les résultats que nous obtenons, nous améliorons encore nos propositions ou nous partons sur de nouvelles pistes en imaginant de nouvelles solutions. C’est un cycle d’amélioration continue dont chaque révolution apporte un peu plus de certitudes. Nous re-prototypons, re-testons jusqu’à atteindre un seuil qui correspond à une réduction maximale du risque. Au fur et à mesure de ces boucles de conception dites formatives, nous faisons évoluer le dispositif. Comme nous faisons également évoluer sa notice, son aide rapide ou son étui. L’usage sécurisé n’est pas notre source d’inspiration unique. Nous devons également prendre en compte les contraintes industrielles. Il serait vain d’imaginer un prototype miracle que nous ne pourrions pas produire à grande échelle par la suite ou à des coûts incompatibles avec les politiques de santé. L’objectif est de créer un dispositif intuitif, facile d’utilisation et efficace mais aussi rassurant pour l’utilisateur. Souvenons-nous que l’utilisateur peut être un jeune adolescent de 12 ans qui doit sauver la vie d’un proche en 2 ou 3 minutes, seul, avec un produit qu’il ne connait absolument pas…

 

L’étude « Human Factors » lancée aux Etats-Unis correspond donc à cette quête permanente de réduction des risques ?

La crédibilité de ZENEO® sur un marché donné, le marché américain par exemple, se construit à la fois sur le dossier produit, qui atteste de la sûreté, de l’efficacité et de la qualité du médicament, et sur le dossier facteurs humains, qui démontre formellement l’ergonomie « tout terrain » du dispositif selon les critères et procédures stricts de la FDA (Food and Drug Administration). L’étude « Human Factors » intervient précisément dans cette perspective. Maintenant que les risques ont été réduits autant que possible, que nous estimons avoir maximisé la facilité d’utilisation, cette interface utilisateur finale  est validée lors d’une phase dite « sommative ». Cette étape doit établir avec un nombre d’utilisateurs conséquent (15 de chaque catégorie d’utilisateurs potentiels), observés dans leurs environnements réels, qu’ils sont capables d’utiliser ZENEO® efficacement et sans danger. Concrètement, chaque utilisateur est invité à réaliser une intervention complète avec ZENEO®. La succession de gestes et d’attitudes est observée et filmée afin de bien recenser toute erreur ou même toute hésitation. Puis un long questionnaire est déroulé avec eux. Il s’agit de sessions de 1 à 2h par participant.

 

Quel est le protocole précisément suivi par l’étude « Human Factors » ?

Aujourd’hui, nous avons lancé simultanément 4 études sommatives aux États-Unis. L’étude porte sur les produits ZENEO® Terbutaline, ZENEO® Adrénaline, ZENEO® Midazolam et ZENEO® Naloxone. L’étude s’appuie sur des utilisateurs, avec des produits spécifiques simulant en tout point les produits qui seront industrialisés. Pour réaliser ces études, nous nous appuyons sur les réglementations américaine et européenne applicables aux médicaments combinés avec un dispositif médical. Nous suivons également les exigences de la norme IEC 62366 portant sur l’aptitude à l’utilisation. Nous disposons ainsi d’un cadre parfaitement rigoureux. Il décrit de manière détaillée la méthodologie de développement en intégrant l’utilisateur au cœur de la conception. Cette approche est celle que Crossject a toujours pratiquée. Cette rigueur native et les résultats qu’elle induit ont d’ailleurs été récompensés par le Janus de la prospective 2018 avec mention excellence.

 

Comment s’insère cette étude dans le processus réglementaire ?

Le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché doit comprendre toutes les données nécessaires permettant de prouver la qualité, la sécurité et l’efficacité d’un médicament. Les études « Human Factors » font partie intégrante de ces preuves de sécurité et d’efficacité d’utilisation du produit qui sera commercialisé. Les demandes d’autorisation de mise sur le marché seront déposées auprès de chacune des autorités de santé des pays dans lesquels le laboratoire souhaite commercialiser le médicament.